Pauvre Héra !
Je compatis d’autant plus qu’il m’est arrivé une aventure un peu semblable.
Avec circonstances aggravantes.
Le fils d’un de mes potes se marie, nous sommes invités.
Le promis a jeté son dévolu sur une charmante petite-Bourgeoise du cru, pas du tout Marie-Chantal, pas non plus Baba-cool déjantée, avec une mère qui semble apprécier son futur gendre, mais sans le syndrome Belle-doche.
Bref, un petit veinard.
Bien entendu, je me mets en chasse d’une idée de cadeau, très difficile à trouver en absence de liste de mariage.
Un jour, faisant mes courses à Carrouf, je tombe sur une magnifique ménagère, 12 couverts, à un prix très abordable.
Ceci me pose problème, car la Ménagère, c’est vraiment bateau, les jeunes risquent de s’en collecter une bonne douzaine, j’ai scrupule.
Je m’en ouvre à mon pote, il m’amène chez sa future Belle-sœur, (ils sont déjà copains comme cochon), on en discute. La ménagère, c’est râpé !
La Baronne nous présente un présentoir, qui semble peser une tonne et demie, à peine moins large que l’immense table du salon.
C’est revêtu de velours grenat, frappé de trois couronnes Ducales incrustées à l’or fin.
On ouvre :
De la petite cuillère à café jusqu’à la louche à potage, en passant par les couverts à poisson, et plein d’autres trucs, c’est tout en argent massif ciselé, estampillé, et tout et tout.
Souvenir de famille, reste d’une splendeur d’antan, qui se transmet de mère en fille, et qui se retrouvera à la corbeille… de mariage.
Evidemment, mon projet de 54 pièces Inox, garanti deux ans, made in China, ça a du mal à tenir la comparaison.
- - - - - - -
L’histoire pourrait s’arrêter là, mais, bien entendu, il y a des développements.
Marie-Christine, (la Promise), elle a comme sœur un adorable petit démon, prénommé Rolande depuis une seizaine d’année.
Cette gamine, en chair et en os, m’a inspiré le personnage de Roxane dans mes délirades fictivement policières. (Roger est mort, et la suite).
La petite, la main sur le cœur, elle jure de ne jamais aller manger chez sa sœur chérie si on met ces saloperies comme couvert, c’est elle, chaque fois, qui fait la vaisselle, (elle adore ça), mais dans le lave-vaisselle, elle n’a pas trouvé de pastilles de blanc d’Espagne pour faire briller l’argenterie.
Vaut mieux des trucs en inox.
Mon idée redevient d’actualité, il faut que j’y réfléchisse.
La petite, elle n’a pas tort, bouffer un steak-tartare-frites avec une fourchette en argent, en plastique ou en inox, voire juste avec les doigts, ça ne change pas le goût.
Le plastique, c’est pratique, mais moins écologique que les fourchettes du Bon Dieu, mais si ça marche pour le tartare, c’est moins évident pour la fondue Savoyarde, voire Bourguignonne.
L’inox, c’est universel, même pour la tarte Tatin ou la blanquette de veau.
Et comme beaucoup d’autres choses, bien lavé, ça ressert.
Mais j’ai scrupule, un écrin Made in China, avec le tampon Carrefour, même avec le bon de fidélité à l’intérieur, j’ai peur de paraître mesquin.
Le lendemain, je baguenaude sous les arcades, l’esprit occupé par ce problème anguoissant.
Soudain, miracle !
Un nouveau magasin, auquel je n’avais jamais prêté la moindre attention, propose à la convoitise des badauds-gogos des trésors High-tendance, Design garanti.
Plusieurs ménagères sont en montre, avec fourchettes et couteaux plus ou moins biscornus, et il y en a une moins moche que les autres, elle semble convenir à mes desseins.
Bien entendu, c’est la plus chère, trois fois celle du super-marché.
Mais quand on aime, on ne compte pas.
Bien plus tard, je suis invité, en toute simplicité, chez le jeune couple qui vit des jours heureux. La gamine était invitée, toujours aussi espièglement charmante, mais j’ai la vague impression qu’elle se fout de ma gueule en douce.
Au dessert, j’en ai confirmation.
La petite cuillère, je l’ai déjà vu quelque part, mais pas dans l’écrin Design.
- T’es franchement ballot, mon Jojo !
Quand on a essayé ton truc, la première fois, on a tordu une fourchette, les couteaux, au-dessus de la crème renversée, c’est aussi efficace qu’un stylo-bille.
J’y ai tout bien remballé, et j’ai refourgué ça à une nigaude du lycée qui cherchait un cadeau original pour la fête des Mères.
- Mais c’est du vol !
- Mais non ! J’y ai fait voir le prix à la boutique, j’y ai vendu trois fois moins cher, juste le prix de ce truc à Carrouf, qui est nettement plus solide.
Cet âge est sans pitié.