Blague à moto

Toulouse, 1973.

Place Héraclès, bar éponyme.
Avec quelques « cons » de mon acabit, on se prélasse sur la terrasse de Marcel, en attendant que le temps passe.

Un piéton attire notre attention, et on commence charitablement à se foutre de sa gueule.
Un vieux beau, d’au moins quarante balais, déambule sur le trottoir d’un pas pressé.
Combinaison de moto, mais pas de la daube, une vraie en cuir, que ça vaut aussi cher qu’un bout de tissu signé Chanel, des bottes de moto aussi dispendieuses que des escarpins de même métal, un casque intégral à la main, mais attention ! Un Intégral homologué, (même qu’il parait que ça va être bientôt obligatoire, même pour un Vélosolex), bref, la super-frime.

- Oh con ! Où il est, ton cheval ?
- Dis, con, t’as perlé la bougie de la Vespa ?
- Oh, con, Tu veux que je te « challe » ? J’ai une moto, moi !

Le comique de la bande, (pour une fois, c’est pas moi), fait promesse que si ce « frimeur » à une brèle plus grosse qu’une mobylette, il se fait capelant.
Je lui promets de lui servir d’enfant de chœur.

Tout ça nous donne soif, on appelle Marcel pour « rhabiller les gosses », il vient nous servir avec un drôle de sourire goguenard.
On pouvait le savoir, nous, que ce gus, il était Capitaine dans les Pompiers ? Et en plus, un cousin à lui ?

Cinq minutes plus tard, c’est du délire.
Le Super-Biker, (le terme n’avait pas encore été inventé), nous passe devant au guidon d’un Solex 3800, fier comme Artaban qui sortait d’un bar-tabac, et casque en tête, s’il vous plait !
On a failli en mourir de rire, sûr que dans quarante ans, on en rigolera encore !
La preuve, je m’en souviens toujours, mais je ne rigole plus.

Les tournées se succèdent, agrémentée par l’apparition d’une ravissante Amazone en tenue motarde, que Marcel a l’air de bien connaître, et qu’il place d’office à notre table, sans présentations préalable, mais il lui avait glissé deux mots à l’oreille, on aurait dû se méfier d’un coup fourré.

Charmante, la moutarde, (hips, pardon, la Motarde), et on lui prouve que l’on est aussi cons que l’on en a l’air, on la chambre à mort, en lui racontant l’autre connard en solex qui ressemblait à un crapaud sur une boite d’allumette.

Pas bêcheuse, la Nana, elle se bidonne, mais elle nous fait chier en nous faisant la leçon, primo, parce qu’à nos âges, ce n’est pas raisonnable de rajouter une tournée de 51 par cette chaleur, et que secondo, il n’est pas charitable de se moquer de son prochain.
Une vraie mère-la-morale, on croirait entendre Odilou quand elle est contrariée.
Mais c’est elle qui a raison, comme Odilou.

Brusquement, une superbe 9.5 twin-fly BMW flambant neuve se gare sur le trottoir, à côté de nos 49,9 que tu pourrais en mettre deux dans chaque sacoche, et le « crapaud » vient s’assoie à notre table, il fait un bisou à Odilou, (mais qu’est-ce que je raconte ? C’est vrai que le pastis, ça désaltère, mais ça perturbe l’intellect, il faudra que je me surveille).

- Ils ont été sympa, chez BM, de me prêter le solex pendant la révision. On y va, Chérie ?

Pas rancunier, le Capitaine, juste un peu vache, il a payé la dernière tournée, ajoutant à notre honte.

Moralité : j’ai appris qu’il vaut souvent mieux fermer sa gueule et passer pour un con de de l’ouvrir pour prouver qu’on l’est.

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